Un chez soi en Ephad : comment le reconstruire ?

Que la phase de l’indécision ait mené la personne à un nouveau domicile ou à appliquer quelques aménagements à son logement, elle va devoir reconstruire un chez soi.

Sauf que construire un chez-soi prend du temps et demande de l’énergie, deux choses que l’on a plus beaucoup quand on est vieux.

Je m’appelle Antoine Gérard, vous écoutez Sociogérontologie, le podcast pour comprendre les vieux. Et aujourd’hui on s’attaque à la question oh combien importante du chez-soi.

J’ai déjà précisé l’importance du chez-soi pour la personne âgée. J’ai déjà précisé que la question du chez-soi est davantage liée à l’identité qu’au logement. J’ai déjà précisé que pour résoudre l’indécision dans laquelle plonge la personne quand la question rester ou partir est posé sur la table, la personne devait dissocier son identité de son logement, avant de reconstruire ce lien, de reconstruire un chez soi.

Bref depuis une semaine je tourne autour du pot. Il est temps de plonger dedans.

Qu’est-ce que le chez-soi ? Pourquoi c’est important ?

De nombreux, très nombreux auteurs, chercheurs ou professionnels de la gérontologie, ont abordé la question du chez-soi. Ici je vous propose une très très courte revue de la littérature, mais en dix secondes sur Google vous trouverez bien d’autres choses.

Être chez soi, ce n’est pas s’abriter, ce n’est pas se loger, c’est habiter. Habiter dépasse la réalité matérielle du logement. Dans la langue anglaise, il y a deux mots : House qui renvoie à cette matérialité, et Home qui renvoie davantage au lien émotionnel avec cette espace.

Pour Marion Ségaud, Anthropologue – j’aime bien commencer avec les anthropologues, car ils cherchent ce qui est commun à toutes les sociétés. Habiter, c’est construire un lien avec un territoire en lui attribuant des qualités qui permettent à chacun de s’y identifier. Le chez-soi est donc le lieu de l’identité.

C’est aussi cette idée que l’on retrouve chez la philosophe Agata Zielinski pour qui l’attachement au chez-soi s’inscrit dans la volonté de rester soi-même.

Ainsi trois choses particulièrement importantes chez cette auteure pour notre sujet

  • Sans chez soi, on ne peut pas être complet en tant qu’individu.
  • Quand la nécessité de quitter son chez-soi arrive, c’est notre identité qui est remise en question.
  • Le chez-soi reste un espace stable quand le monde nous paraît de plus en plus étranger.

Être chez soi c’est donc d’abord être soi. Pourquoi ? Pourquoi le chez-soi est si important pour l’identité ? Trois psychologues nous proposent des réponses.

  • Pour Perla Serfaty Garzon, si le chez-soi est si important pour l’identité, c’est avant tout parce qu’il permet l’intimité : la vie familiale et privée, les secrets, tout ce que les autres ne savent pas.
  • Pour Pascal Dreyer, psychologue également, c’est le confort d’un lieu façonné par soi au fil des ans qui permet cette identité. Un lieu à pratiquer les yeux fermés.
  • Pour Marie Dlesalle, la réalisatrice des films j’y suis j’y reste, le chez soi apporte une liberté indispensable à l’identité.

Pour ma part, après de nombreuses observations au domicile, j’en suis venu à poser l’hypothèse que devenant ce qu’on fait au quotidien, le lieu habiter nous façonne davantage que nous le façonnons. Et que par conséquent habiter est indispensable à notre construction identitaire.

Enfin bref, que ce soit pour l’intimité, le confort, la liberté ou bien d’autres raisons encore, le chez-soi joue un rôle clé dans notre identité, y compris dans le grand âge. Construire et reconstruire ce chez-soi tout au long de la vie est donc indispensable !

Comment construire un chez-soi ? Notamment lorsqu’on est vieux, que le déménagement est un déchirement, et que le nouvel appartement est moche !

Le chez-soi ne se décrète pas, il se construit

Bien sûr, nous professionnel de la gérontologie, connaissons l’importance du chez soi pour nos résidents. Nous ne manquons pas de leur expliquer qu’ils sont chez eux dans nos établissements, qu’ils peuvent amener leurs meubles, que leur chambre est leur domicile, etc. Mais il ne suffit pas de décréter le chez-soi pour qu’il advienne. Le chez-soi se construit. Nous pouvons agir sur l’environnement de vie qu’offre l’établissement, le rendre domesticable, le rendre ordinaire, pour effacer son caractère sanitaire. Je vous renvoie ici aux travaux de Fanny Cérèse. Nous le pouvons et nous le devons. C’est une première étape, nécessaire, mais insuffisante, pour permettre aux résidents de se sentir chez eux en résidence.

Le chez-soi se construit et cette construction est un travail individuel par lequel la personne âgée doit atteindre, et ce sera ma thèse dans ce podcast, la maîtrise de trois dimensions : la maîtrise de l’espace, la maîtrise du temps, la maîtrise des autres. Ces maîtrises permettent de construire le chez-soi et les sentiments qu’ils provoquent : liberté, confort, sécurité, intimité.

La maîtrise de l’espace

Commençons par le plus évident bien que pas le plus facile : maîtriser l’espace. En établissement cet espace c’est le logement ou la chambre. C’est petit, neutre, sans vie. Une toile blanche sur laquelle exprimer sa personnalité, sur laquelle apposer son identité.

L’aménagement et la décoration sont importants. Peu importe que la personne décide de reconstruire à l’identique son salon pour ne pas être dépaysé ou qu’elle décide de racheter tout le mobilier parce qu’elle considère l’emménagement en résidence comme un nouveau départ. L’important est de ne pas laisser le hasard, ou les enfants, décider à sa place des meubles qui composent son logement. Il en va de même pour les bibelots. La personne peut se débarrasser de la collection de capsules de champagne que son défunt mari lui a imposée pendant tant d’années, ou au contraire leur accorder une place centrale dans votre logement afin qu’il l’accompagne dans cette nouvelle aventure. L’important c’est que la personne prenne elle-même cette décision.

Maîtriser l’espace c’est également savoir où se trouve son torchon ! Il faut ranger ses affaires, accorder une place à chacune d’elles, de sorte que lorsqu’on en a besoin, on le trouve rapidement, permet de se sentir chez soi. On se sent étranger chez soi quand un objet n’a pas été remis à sa place (par son conjoint, sa fille ou la femme de ménage).

Maîtriser le temps

Maîtriser le temps consiste à vivre suivant son rythme personnel et non en fonction de celui de la résidence. Bien sûr la résidence a son propre rythme : horaire d’ouvertures, planning des animations, durée des repas, etc., et si le rythme de la personne correspond à celui de la résidence, son intégration n’en sera que facilitée. Mais pour se sentir chez soi, il faut revendiquer son autonomie dans la gestion du temps. Il faut respecter ses propres routines. Le ménage à 9h c’est trop tôt pour elle ?! Qu’elle le décale à 11h. Ce n’est pas possible ? Il faut accepter qu’elle change d’intervenant ! Elle ne peut pas manger au restaurant le mardi midi ? Proposez-lui de monter un plateau un repas, elle le mangera en rentrant de sa randonnée hebdomadaire ! Elle a envie de passer l’après-midi devant la télé, qu’elle le fasse même si sa fille pense qu’elle serait mieux à l’animation.

Trop souvent nous professionnel, nous enfermons dans nos propres rythmes et habitudes en résidence en pensant que ça va correspondre à tous les résidents. Et pourtant quand il y a une demande particulière nous et nos équipes sommes capables d’agilité. Alors bien sûr, nous ne pouvons pas satisfaire toutes les demandes (venir dîner au restaurant de la résidence à 22h30), mais des solutions peuvent toujours être trouvées (se faire livrer un plateau-repas a réchauffer) et grâce à cela, la personne sentira chez elle.

Maîtriser les autres

C’est la troisième dimension et certainement la plus importante : maîtriser les autres. Pour ce sentir chez soi, la personne doit décider qui a le droit de rentrer et quand. Elle a le droit de s’isoler chez elle et d’exiger de n’être dérangée sous aucun prétexte. Et elle a le droit d’inviter chez elle ceux avec qui elle a envie de se lier, même si sa fille préférerait qu’elle utilise les espaces collectifs pour discuter avec les autres résidents.

Le logement est un refuge, il doit permettre de s’abriter du monde extérieur. Encouragez-la à refuser farouchement toutes entrées non désirées. Même si c’est son infirmier, sa femme de ménage ou vous-même. Même si c’est sa fille. Sans l’accord explicite de la personne, nul ne doit pénétrer dans son logement. A priori tout le monde le sait, dans les faits ce n’est pas toujours ça.

Le principe est pourtant le même que pour nous : n’importe qui ne doit pas pouvoir rentrer chez soi n’importe quand.

À l’inverse, encourager la personne à avoir une vie sociale chez elle, et pas seulement dans les espaces collectifs. Pour se sentir chez elle, elle doit avoir le droit d’inviter des amis, le temps d’un thé, d’une partie de cartes ou plus si affinités.

Et il ne faut pas qu’elle ait peur de vexer ceux qui n’auraient pas été invités, rien ne l’oblige à le faire.

L’épineuse question des enfants aidants

Ils veulent bien faire. Ils aiment leurs parents et veulent les protéger. Mais certains enfants prennent trop de place et empêchent la maîtrise de ces dimensions. Dans la précipitation et au nom du pragmatisme, ils leur arrivent parfois de choisir à la place de la personne les meubles et affaires avec lesquels elle emménage en résidence. Afin que leur parent profite au mieux des services de la résidence, les enfants incitent les personnes à s’adapter au rythme de l’établissement et se montrent parfois insistants quant à ce à quoi la personne devrait occuper vos journées (tu devrais sortir, tu devrais descendre jouer au scrabble, tu devrais…). Parce que c’est plus simple pour eux, ils peuvent vouloir la clé du logement de leur parent, et oublient parfois de prévenir la résidente de leur visite, faisant fi de sa disponibilité physique et émotionnelle. Ils peuvent même lui déconseiller d’inviter ses amis dans son logement, après tout les espaces communs de la résidence servent à cela…

Et dans cette quête de contrôle, les proches peuvent en appeler à votre soutien voir à votre complicité.

Félicitez-les pour leur prévenance et tout ce qu’ils font pour leur parent, mais rappelez-leur que leur mère est une adulte, et qu’elle peut très bien ne pas suivre leurs conseils.

Cela peut sembler beaucoup d’impératifs pour être chez soi. En réalité, il n’y en a qu’un seul : décidez par soi-même. Tant que la personne n’exerce pas son pouvoir de décision, son autonomie, elle ne se sentira pas chez elle en résidence.

Un épisode un peu différent des autres pour finir cette semaine, un épisode conseil ou méthode, mais qui me paraissait important de faire tant la question du chez soi est centrale.

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