Vers une nouvelle définition de la vieillesse

Les définitions de la vieillesse sont souvent tautologiques et ne nous aident pas à comprendre l’impact de la vieillesse sur nos vies. J’ai déjà dit ce que la vieillesse n’était pas. Il est temps de donner une nouvelle définition de la vieillesse. Une définition suffisamment simple pour qu’elle soit intelligible. Une définition de la vieiillesse qui donne du sens à la réalité vécue.

Vous êtes sur le podcast SocioGérontologie, je m’appelle Antoine Gérard et aujourd’hui on adopte une nouvelle définition de la vieillesse.

En une phrase : La vieillesse, c’est devoir vivre avec les contraintes liées à l’avancée en âge en ayant de moins en moins les ressources pour y faire face.

Très simple, mais particulièrement opérante, c’est ce que nous allons voir.

Définition de la vieillesse : Le point de vue de Vincent Caradec, sociologue.

Avant d’aller plus loin, rendons à César ce qui appartient à César. Cette définition de la vieillesse est directement inspirée des travaux du Sociologue Vincent Caradec et notamment d’un article à la lecture très accessible et dont je vous conseille la lecture. Cet article intitulé Vieillir au grand âge a été publié en 2008 dans la revue « Recherche en soins infirmiers ». Cet article est intéressant, car il pose la question des théories du vieillissement. Le vieillissement est le processus qui conduit à devenir vieux. En sociologie, le vieillissement n’est pas considéré comme un processus biologique qui consiste en une dégradation de la capacité régénératrice de nos cellules et qui entraîne un ensemble de dysfonctionnement métabolique. En sociologie, un fait social ne peut être expliqué que par un fait social, et le vieillissement ne fait pas exception. En sociologie, le vieillissement se caractérise par « une perte des rôles sociaux ». La question que l’on se pose alors est : comment les individus réagissent à cette perte ?

La théorie de l’activité

Caradec, commence par rappeler que deux théories apportent en apportant des réponses opposées, avant de proposer une troisième voie. La première, dite théorie de l’activité, montre que la perte de rôle est compensée par une intensification de d’autres rôles. C’est par exemple ce que l’on peut voir en début de retraite ou la fin de l’activité professionnelle laisse la place à un engagement associatif ou dans une nouvelle activité (randonnée, langue régionale, peinture, etc.).

La théorie du désengagement

Face à cette théorie, une seconde, dite théorie du désengagement, montre que ces pertes ne sont pas compensées, bien au contraire, elle conduit à un nouvel équilibre. L’individu âgé se satisfait de cette position désengagée. Ce nouvel équilibre peut à nouveau se rompre, entraînant un nouveau désengagement puis un nouvel équilibre, et ainsi de suite.

La théorie de la déprise

Face à ces deux théories, Caradec en propose une troisième dite de la déprise. Je cite : « La déprise désigne le processus de réorganisation des activités qui se produit au cours de l’avancée en âge, au fur et à mesure que les personnes qui vieillissent doivent faire face à des contraintes nouvelles : une santé défaillante et des limitations fonctionnelles croissantes, une fatigue plus prégnante, une baisse de leurs opportunités d’engagement, une conscience accrue de leur finitude. » Fin de citation.

Beaucoup de choses dans cette définition de la déprise. Ce qui est souvent retenu par les sociologues c’est le début de la phrase, « processus de réorganisation des activités », car c’est lui qui permet de définir le vieillissement. Toutefois mon objet ici n’est pas le vieillissement ni le concept de déprise, mais la vieillesse, et dans ce cadre, la seconde partie de la phrase me paraît plus intéressant : « faire face à des contraintes nouvelles ». Caradec, s’intéresse à ces contraintes, car elles agissent comme autant de déclencheurs qui entraînent la déprise nous dit-il. Pour ma part, ces contraintes méritent d’être explorées, car ce qui définit la vieillesse c’est justement le fait de devoir vivre avec ces contraintes liées à l’âge.

À partir de là, il s’agit donc pour moi de détourner l’analyse de Vincent Caradec de son objet premier, la déprise et ses déclencheurs, pour me concentrer sur la question : que vivent les vieux ? Malgré ce « détournement », je vous incite vraiment à vous plonger dans la lecture de cet article, car la suite est tout aussi intéressante : il explore les différentes stratégies de la déprise, qu’il nomme l’adaptation, l’abandon et le rebond ; avant de revenir sur l’enjeu principal de la perte de rôle dans le vieillissement : le maintien de son identité. Il conclut son article en dessinant les trois figures de l’autonomie. Pour rappel, l’autonomie c’est « la capacité des personnes âgées à conserver un certain pouvoir de décision pour les affaires qui les concernent ». Bref, un article important et qui reste très accessible.

Revenons à nos moutons.

Définition de la vieillesse : Les 5 contraintes 

La problématique des accidents de santé et des limitations fonctionnelles

La première contrainte qui apporte à la vieillesse, certainement la plus évidente, c’est les problèmes et accidents de santé et les limitations fonctionnelles. Si pour une minorité de vieux, ces éléments les plongent dans une situation de dépendance, tous font l’expérience de ce corps moins fort, moins rapide, moins agile. Lorsque ces évolutions et évènements remettent en question les activités des personnes ou la manière de les faire, elles deviennent contraintes.

La problématique de la fatigue

La seconde contrainte est la fatigue. Certains parlent d’un amoindrissement de l’énergie vitale. C’est plus précis, car la notion de fatigue renvoie d’abord à celle d’un épuisement physique ou nerveux. Tandis que l’énergie vitale renvoie à une dimension psychologique : le manque d’entrain, de désir, d’envie. La vieillesse, c’est devoir jongler avec les deux faces de cette pièce : la fatigue physique et la perte du désir, qui se mêle pour constituer à une forme d’épuisement. Cet épuisement doit être déconnecté des problématiques de santé, car il peut toucher des personnes par ailleurs en excellente forme physique et psychologique.

La problématique de la solitude

La troisième contrainte est la solitude qu’apporte la vieillesse en raison de la raréfaction des opportunités d’engagement. Dans la vieillesse, les sollicitations sont moins nombreuses, en raison de la perte des rôles sociaux qu’apporte le vieillissement et des difficultés à préserver ses engagements relationnels du fait des contraintes précédemment citées, mais également par un phénomène mécanique : plus le temps passe et moins les contemporains sont en vies. Proches et conjoints sont amenés à disparaître nous laissant dans une situation de solitude. Cette solitude est accentuée d’une part par le fait de se sentir moins compris dans cette réalité et d’autre part, par le sentiment de ne plus être à sa place dans ce monde.

Des interactions défavorables avec autrui

Et ce phénomène est lié à la quatrième contrainte : des interactions défavorables avec autrui. Qu’autrui soit des proches qui, inquiets pour nous, cherchent à nous dicter nos actes. Ou qu’autrui soit des anonymes, croisés dans la rue ou au supermarché, qui montrent leur impatience ou/et marquent leur différence. Cela entraîne un retrait de ces interactions et de l’espace social dans lequel ces rencontres ont lieu. Et participe à créer un sentiment d’étrangeté du monde : On se sent déconnecter de ce monde, de cette société, de ses valeurs.

Accroissant encore l’impression de mise au ban de la société des personnes âgées.

La conscience accrue de la finitude

La cinquième contrainte avec laquelle doivent vivre les vieux, c’est la conscience accrue de sa finitude. C’est-à-dire la conscience que la fin de leur vie est proche, ce qui entraîne un profond bouleversement dans le rapport au temps. Ainsi, alors que les journées peuvent paraître vides, le temps manque, car il n’en reste plus beaucoup avant la fin. Par ailleurs, ce temps qui manque pose la question de la pertinence du moindre changement « est-ce que ça vaut le coup de le faire, à mon âge ». C’est un discours auquel nous sommes fréquemment confrontés, qu’il s’agisse d’inciter une personne âgée à adopter une nouvelle technologie, d’envisager un déménagement ou d’entamer une démarche de prévention.

Pourquoi parler de contraintes ?

Le terme de contraintes me paraît plus adapté à celui que j’utilisais précédemment, qui était celui d’évènement. Un évènement de la vieillesse, une chute, un déménagement, la perte du conjoint, peut être vécu de manière très différente d’un individu à l’autre. Une chute peut faire peur et entraîner une véritable réticence à la mobilité, dans ce cas, la problématique « corps / santé » devient une véritable contrainte. À l’inverse, la chute peut n’avoir aucune incidence sur la vie de la personne et dans ce cas elle n’est pas une contrainte. Sinon, prenons l’exemple du déménagement, il peut constituer un évènement stressant, une montagne infranchissable pour celui dont l’énergie vitale est basse, alors que pour celui qui a de l’énergie ce déménagement peut constituer une nouvelle aventure dans lequel il s’engage avec plaisir. Ainsi, 1- L’évènement n’est pas systématiquement une contrainte ; 2- les contraintes avec lequel doivent vivre les personnes âgées conditionnent la lecture qu’ils auront de l’évènement. C’est pour dépasser les limites de l’appréhension par les événements ou les déclencheurs que je préfère parler de contraintes.

Pas toute à la fois, et par échelle de graduation

Vivre avec ces contraintes, voilà ce qu’est la définition de la vieillesse. Notons néanmoins que ces contraintes ne sont ni universelles ni systématiques et qu’elles sont cumulatives et graduelles. L’ensemble des personnes âgées n’est pas, à l’instant « t » toucher par l’ensemble de ces contraintes ni avec la même intensité. Aussi, une personne âgée peut décéder avant d’avoir connu l’une ou l’autre de ces contraintes.

Néanmoins, notons qu’au fur et à mesure, de l’avancer dans la vieillesse, ces contraintes se cumulent et leur intensité varie (et pas toujours dans le sens d’une aggravation).

Ces particularités ne rendent pas cette définition de la vieillesse moins opérante, au contraire ça lui rajoute de la précision et de la véracité, car il est évident que deux vieilles personnes ne sont en réalité pas soumises aux mêmes vieillissements même si des schémas tendent à se dessiner : une contrainte en engendre souvent une autre et ainsi de suite.

Conclusion

Vous pourriez alors opposer à ma définition de la vieillesse, que ces contraintes ne sont pas liées à la vieillesse, elles peuvent arriver à n’importe quel âge : les contraintes physiques peuvent être liées à un accident, à la fatigue à une dépression, à la solitude, au veuvage, au sentiment d’étrangeté du monde, à un handicap, à la conscience accrue de sa finitude par une maladie grave.

La première réponse pourrait être, et alors ? Qui a dit que la vieillesse c’était à partir de tel âge ? Pourquoi ne pourrions-nous pas être vieux à trente ans, si notre vie consiste à devoir faire avec ces contraintes ?

C’est une réponse trop facile. Qu’est-ce qui distingue le fait de devoir vivre ces contraintes en étant jeune ou en étant vieux ? D’une part la cumulativité de ces contraintes. Si les personnes ne sont pas touchées avec la même intensité par chacune de ces contraintes, elles ont néanmoins tendance à se cumuler. D’autre part, l’absence de ressources pour y faire face. Ce qui varie dans la gestion de ces contraintes entre jeunes et vieux, c’est que les ressources pour y faire face sont difficilement mobilisables par les personnes âgées.

Bien sûr, dans l’absolu, une personne en situation de handicap, qui en plus, fait l’expérience des autres contraintes et n’a pas ou peu de ressources mobilisables pour y faire face, est un vieux même s’il n’a pas l’âge que nous attribuons classiquement à cette période de la vie.

Cet élément est important et constitue une part essentielle de la définition, car, et c’est la conclusion principale et fondatrice de mes travaux de recherches, améliorer la vie au grand âge consiste soit à en alléger les contraintes, soit à accroître les ressources pour mieux vivre avec ces contraintes. Cette vérité, et ce pourquoi, il me semble si important de définir la vieillesse, constitue une grille de lecture susceptible d’expliquer les décisions que prennent les vieux. Déménager, préparer ses obsèques, partir en croisière, participer à une animation, mettre fin à ses jours, etc.

Nous aurons l’occasion de revenir sur cet élément et ses implications.

En attendant, je vous propose de retenir comme nouvelle définition de la vieillesse : Période de l’existence dans laquelle nous devons vivre avec des contraintes liées à notre âge avancé et avec moins de ressources pour y faire face.

Voilà pour aujourd’hui. Un podcast un peu plus long et surtout plus dense que les autres. Mais au combien nécessaire, car il n’est pas possible de comprendre les vieux tant que nous ne comprenons pas, ce que c’est que vivre à l’âge de la vieillesse. Dans le prochain épisode, nous nous demanderons en quoi c’est spécifique de vivre sa vieillesse aujourd’hui.

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