Consentement et vaccination des personnes âgées

Avec l’arrivée de la campagne de vaccination pour la Covid19, un sujet important fait son retour sur le devant de la scène : le consentement des personnes âgées pour se faire vacciner ! Et au moment où la plupart d’entre nous se posent la question de comment recueillir le consentement, j’aimerais poser l’idée que le consentement est clairement le niveau zéro du respect de l’autonomie des personnes âgées. Et que l’enjeu n’est pas d’obtenir le consentement, mais de construire des relations dans nos institutions qui respectent l’autonomie des personnes.

Je m’appelle Antoine Gérard, et vous écoutez SocioGérontologie, le podcast pour comprendre les vieux. Je profite de l’actualité pour aborder une problématique qui me tient à cœur : le consentement. Je sais qu’en ce moment vous vous demandez comment obtenir le consentement des personnes que vous accompagnez dans le cadre de la vaccination et que ce sujet vous donne suffisamment de fil à retordre, pour en plus rajouter un niveau d’analyse supplémentaire. Je suis persuadé au contraire que c’est le bon moment. Car nous n’avons jamais été autant divisés en tant que citoyen et professionnel sur la bonne marche à suivre face au vaccin. Et, il y a fort à parier que là où les professionnels sont convaincus du bien-fondé de la vaccination, les personnes seront vaccinées, et à l’inverse, là où les professionnels sont méfiants les personnes seront moins vaccinées. Est-ce que cela veut dire le professionnel se substituera au libre arbitre de la personne âgée ? Pas tout à fait. Cela signifie plutôt que le consentement n’est pas un outil efficace pour respecter et promouvoir l’autonomie des personnes âgées. Et s’il est inefficace, c’est en raison du paradigme que nous avons à l’égard des vieux : fragiles, vulnérables, dépendants, ils ne seraient plus capables d’autonomie.

Ma thèse dans ce podcast est que le consentement libre et éclairé est une illusion d’autonomie, et que cela durera tant que nous, professionnels, mais aussi proche aidant et pouvoir public ne respectons pas la présomption d’autonomie des personnes que nous accompagnons.

Mon défi avec cet épisode, vous faire ressentir ce qui se passe lorsque l’on demande le consentement et pour cela, je vais dans les prochaines minutes m’adresser à vous comme si vous étiez une personne âgée. Je vous dirais bien de fermer les yeux pour imaginer la situation, mais si ça trouve, vous m’écoutez en conduisant et ça ne serait pas pratique…

Un dernier avertissement : Vous êtes peut-être un responsable d’établissement qui fait tout ce qui faut pour permettre à la personne d’exprimer son autonomie et alors félicitations, Plus probablement, vous êtes un responsable qui fait ce qui peut, et ne voyez pas dans les paroles qui suivent un jugement de valeur, mais plutôt la possibilité de réfléchir à ce que nous faisons trop souvent par automatisme. Ceci étant posé, allons-y !

On vous fait comprendre qu’il est temps que vous partiez de chez vous, mais vous craignez de perdre votre autonomie en établissement.

La directrice essaye de vous rassurer en vous rappelant que le consentement libre et éclairé est exigé pour chacun des pensionnaires.

Vous n’y croyez pas.

Et vous avez raison.

Ce n’est pas seulement le comportement de la directrice, ses certitudes, son sourire alors qu’il n’y a vraiment aucune joie dans ce que vous vivez, qui ne vous inspire pas confiance. Ce n’est pas non plus l’ironie d’un consentement libre qui serait exigé : faisons comme si nous n’avions pas remarqué ce paradoxe.

En réalité, le problème est plus profond.

Il vient du sens qu’on donne aujourd’hui au mot « consentement ».

Le consentement devrait être l’expression de l’autonomie de la personne là où dans nos demandes d’interventions il devient une formule d’introduction d’un soin, ou la validation d’une décision déjà prise par quelqu’un d’autre que la personne.

Aujourd’hui « Je consens » signifie que je ne m’y oppose pas, mais il ne signifie pas que je sois d’accord avec la proposition, qu’elle me fait envie, qu’elle m’enthousiasme, que c’est celle que j’aurais voulue. Il ne signifie pas que c’est ma demande.

Comment pouvons-nous nous contenter d’un si faible accord pour des sujets aussi importants que :

  • Ça ne vous dérange pas que l’on vous change d’appartement ?
  • On a décalé les plannings, maintenant le ménage pour vous ce sera le mardi à 9h, vous n’y voyez pas d’inconvénients ?
  • On vous prescrit ce traitement, il donne de bons résultats sur certains patients, mais attention il ne faudra plus du tout conduire, il risque de vous affaiblir, des questions ?
  • On vous propose de vous vacciner contre la covid19, comme ça, vous serez tranquille, protégé et libre de revoir vos proches ?

J’espère, auditeur, que vous n’avez jamais été confronté à de telles « demandes de consentements », car elles sont le signe du mépris du professionnel à l’encontre de votre autonomie.

Le consentement est l’illusion de l’autonomie, là où l’autonomie, notre capacité à décider par nous-mêmes, devrait être érigée comme une valeur essentielle. Certes nous sommes vieux, parfois fragiles, souvent vulnérables, mais nous restons des individus. Nous sommes doués de raison, doués d’envies, doués de croyances aussi, et pour le rester nous ne pouvons pas nous contenter de consentir. Nous devons décider, choisir, affirmer, imposer. Nous devons agir comme des adultes et rappeler à ces personnes qu’être vieux ne fait pas de nous des enfants.

  • Ça n’arrange pas l’établissement ? Ce n’est pas notre problème.
  • C’est mieux pour nous disent-ils ? C’est encore à nous d’en décider.
  • Ils ont voulu bien faire ? Encore heureux ! Mais ils auraient simplement dû venir nous en parler.

Que faut-il faire alors ? Refusez de consentir ? Oui si vous n’êtes pas profondément d’accord avec la proposition. Refusez dans un premier temps pour ensuite participer à la construction de la solution que l’on vous propose. Refusez tant que l’établissement, les professionnels d’aides ou de santé ne vous incluent pas dans la construction de la proposition pour laquelle il demande votre consentement. Refusez tant que votre individualité n’est pas respectée.

Étrangement il était plus facile pour mois d’écrire ce podcast comme si je m’adressais directement à des personnes âgées. En réfléchissant, ce n’est pas si étonnant : je considère comme un droit inaliénable, pas comme une capacité individuelle, pas comme un moyen d’humaniser nos institutions, pas comme une quête vers plus de bonheur, juste un droit que les individus doivent revendiquer. Et dans ce cadre, il me semble que c’est à l’individu d’agir, et de faire valoir ce droit. Est-ce que pour autant nous, professionnels, n’avons aucun rôle à jouer ? Pas du tout. Le simple fait que nous ayons besoin de demander le consentement dans une démarche administrative et encadrée par la loi est la preuve que nous ne croyons pas, que l’autonomie est un droit des vieux. Du coup que pouvons-nous faire ?

Je vous invite à deux petits changements qui peuvent avoir beaucoup d’impact.

1- Présomption d’autonomie

On le voit bien, si aujourd’hui le consentement est sur la table c’est que parfois nous avons tendance à nous en passer. Pourquoi ? Parce que nous voyons la personne comme fragile et vulnérable, comme quelque chose à protéger. La dépendance de la personne âgée renforce cette idée. Et ici le langage commun qui confond perte d’autonomie avec dépendance ne nous aide pas. Redisons encore une fois : la perte d’autonomie et la perte de son pouvoir de décision sur sa vie, ce n’est pas l’incapacité à réaliser seule, les actes de la vie quotidienne. Il est important de faire la distinction, car la première clé que je vous propose est de partir de l’idée que la personne est d’abord autonome. Peut-être qu’elle est en situation de dépendance, mais elle reste néanmoins autonome. Nous devons intégrer une présomption d’autonomie de la personne, plutôt qu’une présomption d’incapacité, de fragilité ou tout simplement d’absence d’autonomie. Partons du principe, que toujours, et en tout temps, la personne est autonome. Et quand vraiment elle ne l’est plus, adaptons-nous.

Le deuxième changement en cohérence avec cette présomption d’autonomie est lui aussi contre intuitif :

2- La transparence plutôt que la neutralité.

C’est flagrant dans le cadre d’une demande de consentement libre et éclairée, nous cherchons à donner toutes les informations, de manière neutre, les avantages et les inconvénients de telles ou telles décisions. Sauf que,

la neutralité est une illusion. La manière de questionner, de recueillir le consentement et même de donner une information ne peut pas être neutre. Le fait de présenter les arguments pour et contre n’empêche la « coloration » de ces arguments.

La même idée, “le vaccin est disponible”, sera présentée, inconsciemment, de différente manière :

  • Enfin, nous avons reçu les vaccins
  • Nous avons reçu un vaccin, déjà ? En moins d’un an ?

Et je ne vous parle même pas des pour et des contres, qui sont encore davantage porteurs de nos propres croyances.

Alors bien sûr nous n’avons pas l’intention de manipuler les vieux que nous accompagnons, mais pourquoi pas avoir la même exigence envers eux que vous avez envers les politiciens et scientifiques : la transparence !

Ne cherchez pas la neutralité, elle est illusoire, elle fait passer vos certitudes pour des faits. Vos certitudes ne sont que des certitudes, et en précisant votre opinion, votre croyance, votre certitude, lors du recueil du consentement vous offrez la possibilité à la personne d’exprimer à son tour sa propre opinion.

Et là vous allez me dire :

Quoi des personnes incapables de prendre cette décision par eux-mêmes ? C’est en effet une question importante, mais attention, si vous posez cette question pour justifier le fait que vous ne pouvez appliquer cette présomption d’autonomie, alors c’est de la mauvaise foi. Et je préfère être transparent je déteste tout autant les tentatives de nivellement par le bas au nom de l’égalité que le refus d’individualiser nos actions et de les adapter à la personne face à nous. Ceci étant dit, oui, face à certaines maladies neurodégénératives, obtenir le consentement ou permettre l’expression de l’autonomie est une illusion. Sauf que :

  • Ces cas sont rares. Parmi les personnes atteintes de troubles cognitifs, celles véritablement incapables d’exprimer une décision, en tout temps et en tout lieu, sont finalement rares. Bien sûr nos institutions concentrent ces cas rares. C’est logique et c’est là l’intérêt de l’institution :
  • Ces cas sont encadrés : personnes de confiance, directives anticipées, tutelles, c’est justement l’intérêt d’être en institution que de cadrer les choses. Soyons réalistes néanmoins, ce n’est pas toujours le cas, et dans le cadre de la vaccination au covid, je pense que personne n’aurait pu l’anticiper.
  • La présomption d’autonomie vous fournit une ligne directrice y compris pour les personnes atteintes de troubles neurodégénératifs qui vous rappellent de ne pas décider à la place de la personne (en dehors d’un danger grave et immédiat, cela va de soi). Et donc, en l’absence d’éléments permettant de recueillir son avis, ou de déterminer quel aurait été son avis si la personne pouvait encore l’exprimer, il faut accepter de ne pas pouvoir prendre de décision. Et attention, l’avis des enfants peut nous aider à comprendre l’avis de la personne, mais ne constitue pas un consentement.

Pour conclure, retenons que :

Le consentement existe pour respecter le principe d’autonomie. La présomption d’autonomie est le switch mental à adopter : mettre ce principe d’autonomie au cœur de nos relations avec les vieux que nous accompagnons.

Aussi,

 

N’en déplaise à notre Président de la République, l’autonomie prend du temps… Quand il n’est pas dans les mœurs et valeurs des professionnels. Et rappelons-le, une absence de consentement n’est pas de l’indifférence, c’est un non !

SocioGérontologie c’est du nouveau contenu chaque semaine (du moins on essaye) ! Pour écouter nos épisodes du podcast et nous laisser de beaux avis, retrouvez-nous ici :

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