COVID – 19 : Isolement des personnes âgées et coup de vieux !

Une année éprouvante pour les vieux

L’année 2020 a été éprouvante. Elle l’a été pour tous. Notamment pour les vieux : enfermement forcé, privation des rites funéraires, culpabilisation du reste de la société. Mais je ne tomberais pas dans le misérabilisme. Je refuse de jouer à celui qui à la plus grosse … peine. Parce que sans aucun doute nombreux ont souffert en silence. Ils sont restés muets, car face à la gravité de la situation, leur peine leur paraissait bien négligeable au regard de ceux que le virus aura atteints.

Et pourtant, avoir le sentiment de prendre 10 ans en une année, ça fait mal…

Je m’appelle Antoine Gérard, vous écoutez SocioGérontologie, le podcast pour comprendre les vieux. Aujourd’hui je vous partage les premiers pas d’une recherche exploratoire. D’ailleurs je ne sais même pas si cela deviendra un sujet de recherche à part entière, et peut-être que la discussion que suscitera cet épisode m’encouragera à la poursuivre. Enfin bref, je vous partage une découverte récente, sur laquelle je n’ai pas encore pris le recul habituel sur les sujets que j’aborde ici. Pourquoi je fais ça ? D’abord parce que mon analyse s’affine dans la confrontation avec d’autres analyses, que j’espère obtenir de votre part aujourd’hui. Ensuite, parce que vous êtes nombreux à vous demander comment je travaille, quel est le quotidien d’un sociogérontologue. Et d’ailleurs je le répète, la sociogérontologie n’est pas une discipline ni un champ de recherche, c’est juste le nom que j’ai donné au podcast, car il me semblait le plus à même de caractériser mon travail. Aussi, ici, je ne parle pas de recherches académiques, mais plus de recherches citoyennes, de celles que chaque professionnel peut intégrer dans son quotidien (avec un peu de pratique). De la recherche qui mêle recueil des données et analyse mit au service de la compréhension de nos situations professionnelles.

Aller c’est parti.

Enquête et analyse sur l’isolement des personnes âgées durant le COVID-19

Début 2021, dans le cadre de mon travail pour Domitys je passe une nouvelle enquête par questionnaire auprès de 3000 personnes âgées afin d’évaluer leur qualité de vie.

Avec l’année 2020 qu’on a connue je m’attendais à ce que la qualité de vie des personnes interrogées soit dégradée.

Et en effet, j’ai eu ce genre de résultats. Mais j’ai également remarqué autre chose. Les catégories, qui d’ordinaire, ont une qualité de vie supérieure ou plus robuste (moins susceptibles d’une forte dégradation) ont, pour certaines quand même été particulièrement impactées psychologiquement par la situation.

Vous allez me dire que c’est normal, nous avons tous été impacté. Et bien… d’une ce n’est pas si vrai, tous touché oui, mais pas tous, impacté. Et de deux, des personnes qui semblaient avoir des ressources pour faire face à ce genre d’évènement ont été plus touchées que ce à quoi on aurait pu s’attendre.

Alors oui je sais, on vous a dit que la crise sanitaire était d’autant plus impactant pour ceux qui avait peu de ressources, qu’elles soient financières, physiques, morales, spirituelles ou relationnelles. Et sans aucun doute c’est vrai. Et donc d’après cette logique, les vieux les plus jeunes, les plus en formes, les mieux intégrés socialement, etc. auraient dû être moins atteints . Et dans l’ensemble c’est vrai aussi. Mais dans l’ensemble seulement. Parce que là nous avons une parfaite illustration d’un dicton particulièrement important : ce qui est généralement vrai peut être spécifiquement faux. On a là, à la fois la limite de l’approche quantitative, et sa force. Sa limite c’est quand on se contente de faire des moyennes, qui écraseraient les cas particuliers. La force du quantitatif, quand vous avez plusieurs centaines d’individus interrogés, c’est de faire de ces cas particuliers un phénomène de groupe. Avec des caractéristiques communes. Le tout nous permettant d’identifier ces personnes pour essayer de les rencontrer.

Et on en arrive à la deuxième étape, où nous passons d’une approche dite quantitative (c’est-à-dire une enquête par questionnaire analysée de manière statistique) à une approche qualitative. Et ici en l’occurrence, des entretiens téléphoniques. Une dizaine. Pourquoi une dizaine ? Parce que si votre sujet est suffisamment précis et votre groupe d’individus suffisamment restreint, c’est ce dont vous avez besoin pour faire le tour des raisons et mécanismes que vous cherchez à identifier. Alors bien sûr vous aurez toujours Jean-Michel-Socio qui dans son master a fait 50 entretiens et qui vous dira que 10 ce n’est pas suffisant. Si après 10 entretiens vous découvrez encore de nouvelles logiques expliquant votre phénomène alors oui vous devez poursuivre le travail d’enquête. Mais le problème ne vient pas du nombre d’entretiens, mais de la définition de votre phénomène ou du groupe que vous étudiez. Et non « les personnes de plus de 60 ans » ce n’est pas un groupe d’étude pertinente pour une analyse qualitative. Faire des dizaines et des dizaines d’entretiens sans définir le phénomène ou le groupe étudier c’est comme si vous essayez de remplir un seau percé.

Ici dans mon cas, la population est déjà identifiée, le phénomène déjà mesuré, nous cherchons juste à le comprendre, à saisir la subjectivité de ce phénomène et les changements qu’ils induisent chez la personne. Ça tombe bien parce que c’est à cela que ça sert l’approche qualitative.

Et si Jean-Michel-Socio est trop insistant, rappelez-lui que ce qui importe ce n’est pas la quantité de personnes qu’il rencontre, mais la quantité d’informations sur et de ces personnes qu’il obtient.

Donc résumons, j’ai identifié un petit groupe de personnes qui contrarie les résultats à l’enquête par questionnaire. Les résultats contrariants sont très intéressants, car c’est d’eux que nous construisons nos problématiques. En l’occurrence, ce groupe aurait dû « moins » souffrir du covid qu’ils en ont apparemment souffert. Plus jeunes, plus en formes, bien entourés, sans soucis financiers, etc. Ces ressources auraient dû agir comme un bouclier tel que ce le fut pour la plupart des personnes qui partagent ces caractéristiques. Mais non. L’impact du covid a été important. Ils me diront en entretien qu’ils ont pris dix ans d’un coup. Il faut alors chercher à comprendre pourquoi. C’est là qu’entrent en jeu les entretiens. Et là je sélectionne des types de vieux bien particuliers : vivants en couple, propriétaires d’une maison, utilisateurs d’internet, autour de 75 ans, sans dépendances, mais particulièrement affectés psychologiquement par la situation sanitaire. C’est assez précis comme critères, car mon but est de pouvoir dégager une hypothèse de recherche pouvant donner sens à mon constat de départ.

Ces personnes je les glane au fil de mes entretiens avec des personnes âgées que je rencontre et sollicite pour d’autres sujets.

Voilà pour la partie méthodologie. Enfin méthodologie d’enquête, car il y a ensuite la méthodologie d’analyse, car oui recueillir des données ne suffit pas, il faut ensuite leurs données du sens. Mais ce sera l’objet d’un autre épisode. Il est temps de passer aux résultats de ces entretiens.

Et là nous allons être attentifs à deux choses :

  • La verbalisation du phénomène étudié, c’est dire la manière dont les personnes décrivent, mettent en mot, ressentent ce phénomène de l’impact psychologique du covid.
  • Les raisons qu’ils évoquent pour l’expliquer. Alors ici petite précision. La mode des méthodes coconstructives, collaboratives et autre design thinking ont tendance à prendre au pied de la lettre les raisons évoquées par les personnes. Moi non. En fait je vais bien sûr être attentif aux raisons évoquées, mais je vais les questionner, ils deviendront des hypothèses. Peut-être que la personne est très consciente d’elle-même et très lucide sur la situation et la raison évoquée est la vraie raison . Mais peut-être pas. Le problème c’est que moi je ne peux pas savoir d’avance qui du premier type et qui est du second. Et se fier à la clarté du discours ou l’éloquence de la personne est clairement un faux indice. Et donc face à cette incertitude, je vais questionner toutes ses raisons. Je ne prends jamais pour argent comptant une raison, qui est d’ailleurs plus souvent une justification a posteriori. Autre point important, le meilleur moyen de comprendre les raisons, c’est d’étudier les processus et mécanismes qui ont mené aux phénomènes, et donc ce sont ces éléments que vous devez chercher.

Le temps passe il faut que j’accélère. Et donc sans plus attendre, passons aux données recueillies lors des entretiens.

Le recueil des données et hypothèses

Le phénomène observé s’exprime chez les personnes comme le sentiment d’avoir pris dix ans en une année. Je retiens cette formulation, car elle significative, elle parle d’elle-même. Toutes les personnes ne l’utilisent pas, mais toutes expriment ce que moi j’ai mesuré comme une dégradation du bien être psychologique, comme un « coup de vieux ». Certaines (car oui je n’ai trouvé que des femmes à mettre dans mon échantillon) disent que pour la première fois elles se sont senties vieilles, d’autres qu’elles ont vieillis énormément d’un seul coup.

Pourquoi ? Pourquoi ce vieillissement soudain ? Et pourquoi est ce qu’il se traduit par une dégradation du moral ?

Point intéressant, qui permet de mettre immédiatement de côté une première hypothèse, ce vieillissement soudain n’a rien à voir avec une dégradation de leur capacité physique. Physiquement rien ne change. Elles sont encore capables de faire ce qu’elles faisaient avant.

Autre hypothèse, qui celle-ci doit être mise de côté : leur mode de vie a changé, privé de sortie, de loisirs, de rencontres, à devoir faire attention à tout, à se protéger, etc. Ce nouveau mode de vie s’apparente à celui qu’ils imaginent comme étant celui des vieux et donc feraient l’amer constat qu’ils sont comme des vieux. Mais non, encore une mauvaise piste.

Troisième hypothèse. Leur âge est devenu socialement un facteur de vulnérabilité. Je m’explique. En dehors de la crise sanitaire, leur âge était invisibilisée : les nombreuses ressources qu’ils possèdent leur permettaient de mettre en avant, dans la société, leurs loisirs, leurs modes de vie, leurs formes physiques. Avec la pandémie, l’âge est devenu le premier facteur de risque, classant les individus en fonction de leur âge et assignant à chaque âge des caractéristiques. C’est pertinent d’un point de vue épidémiologique, car à grande échelle, l’âge est clairement un facteur déterminant. Mais à l’échelle de l’individu, l’âge ne détermine pas systématiquement un état de santé. C’est pour ça que l’épisode ou je définis la vieillesse est intitulée la vieillesse n’est pas une question d’âge. Et ce groupe d’individu que j’observe ici donnait jusqu’alors tort à ce classement par âge ! Sauf que, et bien avec la pandémie nous avons effacé cette dimension, subjective pour ne retenir qu’un seul critère l’âge. Il fallait protéger les vieux c’est-à-dire les plus de 65 ou les plus de 85 ans. Et donc alors qu’ils ne se sentaient pas vieux, ils ont été mis dans la catégorie “vieux”, par les médias, par les professionnels de santé, par leurs familles, devenant, dans le regard de l’autre et notamment de leur proche une chose fragile et vulnérable, qu’il faut protéger.

Je trouve cette hypothèse assez intéressante parce que nous savons aujourd’hui que le regard de l’autre, joue dans la propre appréhension de son vieillissement, et que si, jusqu’a maintenant, ces individus avaient pu y échapper, le fait que l’âge redevienne, dans les représentations sociales, l’unique critère de définition de la vieillesse, mais à mal tous leurs efforts pour être autre chose qu’un chiffre dans le regard des autres.

Autre hypothèse, intéressante également, est liée à l’émergence d’une certaine vulnérabilité face au virus, et donc une conscience accrue de leur finitude. Ils sentent que leur mort est plus proche ce qui les fait se sentir vieux. Ce n’est pas une hypothèse dont je souhaite poursuivre l’investigation, préférant me concentrer sur la précédente.

Conclusion : Les vieux ont été mis de côté et protégés par leur proche, conséquence, les vieux se sont sentis encore plus vieux.

Alors, reste néanmoins une question. Pourquoi ce groupe d’individu ressent fortement cet impact alors que la plupart des gens possédant autant de ressources sont moins impactés. Et là mon hypothèse (qui vient expliquer mon hypothèse générale) est que c’est surtout le rôle des proches qui impacte. Les femmes interrogées ont été privées du rôle de mère et de grand-mère qu’elle joue habituellement. Alors qu’elles sont les protectrices, aujourd’hui et pour la première fois de leur vie, ces femmes ont été protégées.

Et celles et ceux, les indépendants, de leurs proches ont pu conserver cette distance.

Résumons donc. Dans le cadre d’une recherche exploratoire, c’est-à-dire dans l’objectif d’identifier une hypothèse de recherche pertinente, je suis parti d’un résultat contrariant dans une enquête quantitative. À partir de là, j’ai construit un petit groupe d’étude très précis, que j’ai pu interroger directement, faisant émerger plusieurs hypothèses. Une me parait particulièrement intéressante, et si l’étude devait se poursuivre c’est celle-ci que je choisirai. Il s’agirait donc alors de prouver l’impact de la catégorie « vieux » construite socialement pendant la crise sur le fait que les personnes âgées se considèrent comme étant des « vieux ».

Maintenant deux choses :

  • Avez-vous d’autres hypothèses que les quatre proposées ici ? Et/ou opteriez-vous pour une autre hypothèse que celle retenue ?
  • Quel protocole de recherche vous permettrait de valider l’hypothèse issue de l’enquête exploratoire.

Ce genre de réflexions est toujours un bon exercice pour développer ses capacités analytiques. Aussi, vous pouvez m’envoyer vos réponses à l’adresse mail en description. Peut-être, ferais-je, un épisode bonus dédié à ces questions.

J’espère que cette immersion SocioGérontologique vous aura plu. Bien sûr, il reste plein de choses à voir méthodologiquement, tant du côté de la construction du guide d’entretien, que des astuces de sociologues, ou du côté de l’analyse et de la manière dont on donne sens aux données. Autant de sujets qui en apparence dépassent le cadre du podcast, mais en réalité sont de précieux atouts pour comprendre les vieux auprès desquels nous travaillons.

En tout cas, pensez à partager cet épisode, à vous abonner au podcast et à lui mettre une note de 5 étoiles pour aider à son référencement !

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